Culinaria-cours-de-cuisine

Il court, il court …le temps. Pas le temps de tout faire, tout en essayant de tout faire. La frénésie comme mode de fonctionnement. On « fastfood », mais on prend des cours de cuisine. Un paradoxe ? Une évolution de la société qui a débuté voilà une vingtaine d’années. Cette tendance des cours de cuisine ne faiblit pas … Bien au contraire.
 
Chef cuisinier à domicile depuis 2006, Thomas Le Courbe porte un regard plein de promesse sur les cours de cuisine : « c’est sûr, il y a de l’avenir ». Et pour l’heure, la réalité ne le dément pas : les émissions de télé-réalité envahissent le PAF(*). Des boutiques de home-cooking « Ustensiles et préparation culinaire » s’ouvrent quotidiennement. Les offres de cours sont systématiquement proposées dans les hôtels-restaurants de haut standing.
 
 
Fast ou slow food ?
Nous courrons toujours autant. Voire plus ? Le fast a encore de l’avenir. En revanche, le slow food a de plus en plus d’adeptes.  Les consommateurs se renseignent sur les produits qu’ils consomment. Après les scandales de la vache folle, de la grippe aviaire…une conscience du bien-manger s’est éveillée et plus récemment la fraude à la viande de cheval.
Un besoin de consommer autrement, notamment en se remettant au fourneau ….
Comment expliquer autrement ce succès grandissant des cours de cuisine ? Jean-Paul Thibert, ancien chef étoilé à Dijon, pionner dès les années 2000 des cours de cuisine: « Après les carottes râpées du supermarché en semaine, les gens ont besoin de redécouvrir le goût du produit vrai, de l’aliment originel qui respecte le terroir. Alors le week-end,  on cuisine de  bons petits plats pour ses amis et sa famille ».
 
Pour comprendre ce phénomène sociétal, retour dans le passé.  En 68, l’heure n’est pas à cuisiner ustensiles à la main mais plutôt à créer une société différente, pavé à la main.  Les femmes se sont retrouvées derrière des bureaux, et une fois rentrées au domicile, elles  se retrouvaient quand même avec le tablier pour servir des repas non cuisinés  par manque de temps. Résultat : la génération post 68 ne sait plus cuisiner. Il faut donc réapprendre auprès d’un chef !  Et la symbolique du chef est forte dans une société en mouvance perpétuelle, en quête de repères. Il en trouve dans cette identité du chef : patron d’une brigade, père spirituel qui inspire ses seconds.
Ce sont dans les grandes villes et leurs grands établissements étoilés que les premiers cours de cuisine ont vu le jour. En Bourgogne, la famille Lorain à Joigny inaugure les premiers cours dans les années 70. C’est dans les années 90 qu’ils se démocratisent grâce aux écoles hôtelières de la région. Le mouvement prend alors de l’ampleur avec les cours dispensés par les chefs dans leurs cuisines ou dans celles des particuliers. Depuis vingt ans, la tendance est allée crescendo. Un reflet de notre société en quête d’identité…
 
Nouveaux  repères
La cuisine de nos grands-mères était surtout dictée par la nécessité de nourrir la famille. Aujourd’hui, le consommateur retrouve le plaisir du goût à travers la gastronomie. D’après Stéphane Derbord, président des restaurateurs de l’UMIH (**), « la gastronomie est un moyen d’expression, accessible à tous. La gastronomie, c’est le partage des émotions ». Tout en gardant les repères d’hier, on va à la découverte de la nouveauté. La curiosité instaure un dialogue dans l’assiette. On ajoute un nouvel ingrédient dans la soupe d’antan et tout est différent». A Pernand-Vergelesses,  Laurent Peugeot, chef étoilé du Charlemagne,  mêle avec brio innovation et tradition.
 
Vincent Bourdon, chef des Œnophiles, Thomas Le Courbe, ou l’étoilé de la Place Wilson à Dijon reconnaissent que « les émissions de téléréalité, c’est bien pour le métier. Ca remplit les écoles hôtelières ». Les téléspectateurs ont « envie de découvrir de nouveaux plats, de nouveaux ingrédients » renchérit Thomas Le Courbe. D’ailleurs, le chef du restaurant éponyme Stéphane Derbord ajoute « Les consommateurs ont du talent, de la créativité. Ils ne sont pas comme nous les pros, parfois enfermés dans des clivages traditionnels. Ils osent des accords ! Ils sont inventifs aussi  parce qu’ils n’ont pas toujours le matériel nécessaire, alors ils improvisent. D’ailleurs moins bien ne veut pas dire moins bon ». Et du moment qu’il y a un « partage authentique entre amis, c’est bien là l’essentiel », martèle M. Stéphane Derbord. … Des valeurs que partagent les chefs étoilés Cédric Burtin de l’Amaryllis à Chalon sur Saône et Jérôme Brochot, chef de son Hôtel-Restaurant Le France à Montceau-les-Mines.
 
Risque de dérives
Egalement délégué régional des maitres cuisiniers de France, Stéphane Derbord met en garde sur les dérives de cette télé-réalité qui « met en scène des émotions artificielles arrachées au candidat. La télé-réalité démocratise mais elle banalise aussi. Si la télé-réalité aboutit souvent à une démolition psychologique, un repas simple entre amis, c’est une construction qui amène à l’émotion partagée ».
 
Le chef des Œnophiles se positionne sur le même credo : « les métiers de la restauration restent des métiers difficiles. Moins qu’autrefois bien sûr, mais ces sont des métiers exigeants qui demandent beaucoup de travail ». De son côté Thomas Le Courbe déplore ce décalage entre pro et simili pro : « le  métier de restaurateur n’est pas protégé, contrairement au CAP coiffure ! N’importe qui peut monter une cuisine à domicile et acheter des plats semi-préparés. »
Comment ne pas être inondé entre les cours de cuisine-télé, les cours à domicile, les produits de supermarché et produits locaux, la multitude de labels. Comment s’y retrouver dans la patrie de la gastronomie ? Et pourtant, les Français ont  de solides points d’ancrages.
En effet, en France, « le repas fait partie de l’identité des Français», comme l’explique Jean-Robert Pitte (***). A telle enseigne que le repas gastronomique Français est inscrit depuis 2010 par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité.
La réponse du délégué régional des maitres cuisiniers de France est simple : «  C’est à nous, professionnels, de guider, d’accompagner le consommateur. Le cap à tenir est le respect des valeurs humaines : le travail du producteur, des restaurateurs, la qualité du produit et le besoin du consommateur. »
Sans oublier d’adjoindre aux cours de cuisine, nos cours d’oenologie
Agnès Bès de Berc
(*) PAF: Paysage audio-visuel français
(**)UMIH : Union des métiers et des industries de l’hôtellerie
(***) Président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires
 
 
 

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